Il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme

Impossible de ne pas tomber dessus vu que la promo en France a été plutôt appuyée. On a même eu droit au grand tour de KSR in flesh and blood (ce qui était plutôt très plaisant), à qui les Utopiales ont d’ailleurs réservé une place de choix (voir la rencontre lors du festival) et des interviews (à l’écrit ou en vidéos) dans plusieurs grands médias francophones. Du coup, pas mal d’articles de presse, de critiques et d’avis également.

Même si j’essaie toujours d’éviter d’en apprendre trop sur une œuvre avant de m’y plonger, de m’en faire une idée et puis seulement de la confronter à celles des autres, j’ai n’ai pu échapper au bruit de fond (et, je dois bien l’avouer, à ma curiosité). J’avais donc cette impression que le livre avait été moyennement bien reçu, avec quelques reproches au niveau de la narration, du fait que « ça partait dans tous les sens », que c’était une vision trop idéaliste, trop positive, que ça « tapait à côté », que KSR enfonçait des portes ouvertes, que ça versait dans le technosolutionnisme… etc. Et puis, l’écrivain (que j’aime par ailleurs) n’est plus tout jeune, et j’ai vu passer la question de savoir si sa génération avait vraiment des choses pertinentes à dire sur le sujet (sa trilogie climatique ne m’avait pas laissé un grand souvenir non plus -même si, avec le temps, j’ai l’impression que ça se bonifie et que j’ai envie de la relire).

Hasard de ma PAL, où je pioche parfois un peu au hasard, je venais de finir « Choc Terminal » de Neal Stephenson et même si ça n’a pas été le coup de foudre immédiat, au final, même un troisième tome pour continuer sur le sujet ne m’aurait pas déplu. Du coup, je me suis dit que le livre de Robinson pourrait faire le job.

Je l’ai terminé il y a quelques semaines. Et j’ai donci lu quelques critiques et ré/écouté quelques interviews (je vous conseille d’ailleurs d’aller voir plutôt du côté anglophone où les entretiens sont, pour moi, plus intéressants). je comprends les critiques qui sont faites au bouquin, je pourrais en partager certaines, mais comme ça ne m’a pas du tout empêché d’apprécier la proposition, je parlerais donc plutôt de « particularités », de ces petites choses qui rendent l’expérience moins lisse, moins attendues, qui vous emmènent là où vous ne pensiez pas aller (même si quelques passages, dont celui du photon/atome de carbone par ex. m’ont laissé quelque peu dubitatif). Bref, je recommande chaudement : laissez-vous faire, laissez vous allez, un peu de CliFi positive anticapitaliste friendly ne peut nuire à la santé. Plus sérieusement, je pense que ce bouquin va inspirer quelques chef d’œuvres à venir, mélange d’essais romancé, de manifeste utopique teinté de hardSF.

La science-fiction est le réalisme de notre époque

Ci-dessous, la note de lecture de l’introduction d’un dossier de fond tout public que je vous conseille (en anglais pour la publication originale).

Solutions climatiques du Ministère de l’Avenir… – Par Steve Daniels

Dans le contexte actuel, où les médias dépeignent souvent un tableau apocalyptique et où l’immobilisme politique prévaut, il peut être ardu d’envisager un avenir où nous relevons avec succès les défis majeurs de notre époque. C’est précisément dans cette optique que le dernier ouvrage de Kim Stanley Robinson, « Le Ministère pour l’Avenir », a suscité un profond intérêt. En tissant une trame riche des dernières idées visant à résoudre nos crises planétaires, l’auteur parvient à esquisser un récit qui, loin d’être utopique, semble à la fois optimiste et réaliste. L’importance de cet ouvrage a également été soulignée par Ezra Klein, qui l’a qualifié de « livre le plus important qu’il ait lu cette année ».

Les idées présentées dans « Le Ministère » ne sont pas nécessairement nouvelles. La plupart d’entre elles existent déjà aujourd’hui sous forme de propositions ou de projets matures. Ce qui distingue particulièrement l’approche de Robinson, c’est sa capacité à démontrer, étape par étape, comment ces idées pourraient s’assembler pour façonner un nouvel ordre mondial. Dans une récente interview, il a expliqué son objectif littéraire de la manière suivante :

« Il est facile d’imaginer un système idéal. Il suffit de créer quelques règles sur la façon dont les choses devraient fonctionner… Mais imaginer comment parvenir à un système social meilleur, c’est presque un territoire inexploré dans notre pensée collective. C’est pourquoi j’ai entrepris cette démarche. »

Robinson adopte une position tranchée sur les racines de notre immobilisme climatique, qui servent de toile de fond à son récit. Lors d’une récente conférence, il a clarifié cette position en déclarant :

« La communauté politique internationale s’est fixée pour objectif de limiter le réchauffement climatique à 2°C par rapport aux niveaux préindustriels, afin d’éviter des points de basculement catastrophiques. Nous pouvons encore brûler 500 gigatonnes de combustibles fossiles avant d’atteindre ce seuil. Il reste encore 3 500 gigatonnes de combustibles fossiles à extraire. Dans l’économie actuelle, cela représente une valeur de 1,6 quadrillion de dollars, avec peu d’incitation à les laisser sous terre. 80 % de ces réserves sont détenues par des États, et le reste se trouve sur des terres réglementées par les États. Par conséquent, le problème réside essentiellement entre les mains des États-nations. »

Bien que les chiffres précis puissent être sujets à débat, la prémisse de base demeure pertinente : des interventions doivent être menées au sein et entre les États-nations. Cela n’empêche pas Robinson d’aborder également le problème à la base. Dans son monde, comme dans le nôtre, il n’y a pas de solution miracle. De nombreuses solutions variées convergent pour susciter une transformation émergente. Chacun de nous a un rôle à jouer dans ce processus.

 

Chemins vers l’avenir

Après cette introduction (que je me suis permis de paraphraser), Steve Daniels présente un plan de son dossier qui comprend donc plusieurs articles. Il y décrit sept principes qu’il perçoit comme essentiels dans la proposition de Kim Stanley Robinson, ainsi que les solutions climatiques spécifiques mettant en œuvre chaque principe. Pour chaque solution, il fourni un contexte supplémentaire sur la place qu’occupe la solution dans le monde réel. Il termine en soulignant que presque toutes les technologies, projets et mouvements sociaux présentés dans le roman existent déjà aujourd’hui sous une forme ou une autre… et qui, selon lui, n’attendent que notre soutien.

Les États-nations travaillent ensemble pour améliorer le bien-être social et environnemental…

  • Accords mondiaux
  • Ministère de l’Avenir
  • Indices de prospérité alternatifs
  • Planification centrale prise en charge par l’IA
  • Passeport mondial
  • Politique énergétique

…et en apportant une plus grande part de la biosphère aux biens communs, en la régulant activement vers un équilibre propice au maintien de la vie.

  • Réensauvagement
  • Gestion du rayonnement solaire
  • Dépôt de masse
  • Gestion des bassins hydrographiques

Un marché manipulé par les gouvernements pour inciter à la réduction des gaz à effet de serre et à la préservation des ressources naturelles…

  • Théorie monétaire moderne
  • Devise Fiat Blockchain
  • Assouplissement quantitatif du carbone
  • Taxes carbone
  • Remise temporelle
  • Allègement de la dette

…entraînant la prolifération de technologies permettant de réduire les gaz à effet de serre.

  • Énergie sans carbone
  • Agriculture régénératrice
  • Capture d’air directe
  • Dirigeables

Le pouvoir militaire passe des États-nations à des acteurs travaillant au nom de la planète.

  • Destruction mutuellement assurée
  • Écoterrorisme
  • Opérations noires
  • Cyber-attaques

Organisation décentralisée pour les interventions climatiques locales et la résilience des communautés…

  • Gouvernement local participatif
  • Action directe non-violente
  • Intendance autochtone
  • Coopératives appartenant aux travailleurs
  • Réseaux sociaux open source

…et l’émergence d’une conscience planétaire collective à travers des interactions personnelles directes avec le climat.

  • Perturbation sociale
  • Spiritualité centrée sur la planète
  • Conservation collective de l’énergie
  • Écothérapie